Précarité énergétique estivale : l’injustice invisible

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Alors que les vagues de chaleur se multiplient, des millions de logements mal isolés deviennent invivables l’été. Faute de normes adaptées, cette précarité thermique demeure largement ignorée par les outils de diagnostic et les politiques publiques.
 

La précarité énergétique est souvent pensée comme un problème hivernal. Or, avec le réchauffement climatique, une autre forme d’inconfort s’impose : celle des logements devenus insupportables en été. Selon le dernier rapport de la Fondation pour le Logement, croisé avec les données de Météo France et de l’ADEME, la précarité énergétique estivale pourrait concerner plusieurs millions de foyers dès aujourd’hui — et bien davantage d’ici 2050.
Dans les départements du sud ou exposés à des pics de chaleur récurrents, trois logements sur quatre présentent un confort d’été jugé insuffisant ou médiocre. Or ce phénomène ne fait l’objet d’aucune évaluation réglementaire sérieuse, et reste absent des critères de performance énergétique.
 

Un DPE inadapté au défi climatique
Le diagnostic de performance énergétique (DPE), utilisé pour classer les logements du A au G, repose encore largement sur la consommation de chauffage. Il néglige totalement les indicateurs de confort d’été : inertie thermique, orientation du logement, exposition au soleil, ventilation naturelle, présence de protections solaires… Autant de paramètres décisifs en période de canicule.
 

Résultat : un logement classé B ou C en hiver peut devenir une véritable fournaise en juillet-août. Cette faille méthodologique entretient un sentiment d’injustice chez les locataires, mais aussi une illusion de qualité thermique chez les propriétaires. Dans les faits, la note DPE est trompeuse dès lors qu’elle ne tient pas compte des effets du réchauffement.
Le problème est d’autant plus critique pour les populations vulnérables : personnes âgées, enfants en bas âge, malades chroniques, souvent confinés dans des appartements mal ventilés, situés en étage élevé, sans climatisation ni protections extérieures.
 

Des solutions existent… mais peinent à s’imposer
Les spécialistes du bâtiment le répètent : les techniques de confort d’été sont connues. Il est possible d’améliorer la situation en combinant isolation par l’extérieur, matériaux à fort déphasage thermique (comme la laine de bois ou la ouate de cellulose), volets extérieurs, brise-soleil orientables, ou encore pompes à chaleur réversibles. Ces aménagements permettent de différer l’entrée de chaleur dans le logement, et donc de lisser les températures intérieures.
 

Mais leur coût élevé, leur manque de visibilité dans les aides publiques et leur complexité technique freinent leur déploiement, notamment dans le parc locatif privé. Par ailleurs, les dispositifs comme MaPrimeRénov’ ou les C2E restent focalisés sur le chauffage et l’isolation hivernale, ignorant la dimension estivale du confort thermique.
 

Une précarité qui ne dit pas son nom
Ce déficit de reconnaissance a des conséquences lourdes. En 2023, plus de 12 000 passages aux urgences ont été recensés lors des épisodes de canicule, selon Santé publique France. Une grande partie de ces hospitalisations concernait des personnes vivant dans des logements surchauffés, mal ventilés, souvent dans des quartiers denses ou des immeubles anciens. Cette injustice invisible est aussi une question de santé publique.
Le logement social et les copropriétés dégradées sont en première ligne. Faute de normes, les bailleurs n’ont aucune obligation légale de traiter le confort d’été. Certains commencent pourtant à intégrer la notion de résilience thermique dans leurs appels d’offres, sous l’impulsion de collectivités locales ou de bailleurs innovants. Mais le mouvement reste marginal à l’échelle nationale.
 

Une réforme urgente du DPE et des aides
Pour les experts, le premier levier consiste à réformer le DPE afin d’y intégrer un indicateur de confort d’été, lisible, opposable, et pris en compte dans les décisions d’achat, de location ou d’aide publique. Sans cela, l’adaptation du parc immobilier au réchauffement climatique restera incomplète, voire contre-productive.
 

À plus long terme, il faudra penser une politique de rénovation thermique globale, qui n’oppose plus hiver et été, mais qui vise un confort thermique toute l’année, adapté aux nouvelles réalités climatiques. Sans cette mutation, les logements mal isolés risquent de devenir des pièges à chaleur, sources de pathologies, de surmortalité… et d’inégalités sociales renforcées.